TRIBUNA NOASTRA

"Spune intotdeauna adevarul si nu va mai trebui sa tii minte nimic" (Mark Twain)

Magazin pentru romanii canadieni si nu numai, editat de Federatia Asociatiilor Romanesti din Canada

 

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Letitia Militaru Colinde... si nu numai

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Adrian Ardelean      Un potential campion olimpic roman in... Canada

DIVAGATII caiet de filosofie, estetica si istorie

 

POSTA REDACTIEI

ARHIVA

 


DIVAGATII

CAIET DE FILOSOFIE, ESTETICA SI ISTORIE supliment 2003 al magazinului TRIBUNA NOASTRA

 

Liliana Nicorescu

Les racines de Cioran

Il a été - à l’exception de l’année où il fut professeur de philosophie au lycée de Brasov - un homme sans emploi. Mais comment pouvait-il avoir d’emploi quand il pensait à la mort? Il a été un solitaire, un «métèque», un insomniaque, un «penseur privé», un misanthrope et il aurait voulu vivre en éternel sorbonnard, mais, chassé pour la deuxième fois du paradis, il comprend qu’«on ne peut pas absolument vivre en paradis - pas en paradis, en parasite.»

L’«apatride métaphysique» venait d’un monde qui, jadis, lorsque Zamolxis était son dieu, avait l’habitude de pleurer quand un enfant venait au monde et de fêter quand quelqu’un mourait. Pour les ancêtres des Roumains la vie n’était que souffrance, leurre et misère. Seule la mort leur apportait la délivrance. L’indifférence devant la mort, la souffrance, l’amertume, la peur, l’hésitation devant toute décision historique, définissaient «la dimension roumaine de l’existence» bien avant la naissance de Cioran.

De Miron Costin - poète et historien moldave du XVIIe siècle -, qui commence son poème La vie du monde avec le vers: «Je chante avec douleur la triste vie du monde...» -, à Mihai Eminescu - pour lequel «pourtant, le monde est triste», le ton poétique est, généralement, pessimiste. D’où vient l’amertume du Roumain devant la vie? Cioran propose deux explications: du fond culturel balkanique, dans lequel «la création n’a cessé d’être mise en accusation» et où la plainte du choeur, dans la tragédie grecque, n’est que lamentation à propos du destin, ou bien de «la religion nationale des Roumains», le fatalisme, qui a appris au paysan «que l’homme est perdu, qu’il n’y a rien à faire», et que, par conséquent, il ne fallait croire en rien.

 

Avec Mihai Eminescu la littérature roumaine s’oriente vers l’universalité. Le dernier grand poète romantique européen est le seul parmi les écrivains roumains du XIXe siècle à créer une synthèse entre l’âme roumaine et l’esprit universel. Son oeuvre se fait l’écho de certaines idées récurrentes chez Goethe, Novalis, Schopenhauer, Lamartine, etc. Comme eux, et comme bien d’autres poètes européens de sa génération, Eminescu médite sur le passage inexorable du temps, sur la condition de l’artiste (le génie, chez lui), sur la malédiction dont nous sommes victimes, etc. Un de ses thèmes fondamentaux est l’adage biblique: «Vanité des vanités et tout est vanité.» L’univers, l’histoire, les civilisations, l’amour: vanitas vanitatum et omnia vanitas. L’homme de génie erre parmi ses contemporains incompris, banni, malheureux. Que ce soit le poète ou le savant (les deux incarnations du génie chez Eminescu), «exilé sur le sol au milieu des huées, / Ses ailes de géant l’empêchent de marcher» lui aussi.

«À l’exception de Eminescu - appréciait le jeune Cioran -, tout est approximatif. [...] Qu’a-t-il fait parmi nous, celui qui aurait pu s’attirer la jalousie d’un Bouddha? Sans lui, nous aurions su que nous ne pouvions être qu’essentiellement médiocres, que nous étions nos propres esclaves, et nous nous serions parfaitement adaptés à notre condition mineure.» Plus tard, dans ses Cahiers, Cioran allait prendre le titre d’une nouvelle de Mihai Eminescu - «Geniu pustiu (Génie stérile)» - pour «la clef» de son pays.

Ce double effort d’appropriation et de refus des valeurs qui sont les siennes sera à jamais le cauchemar de Cioran. Si à l’époque de sa jeunesse il condamne la «résignation», le scepticisme - «plaie séculaire de notre peuple» -, la «sagesse» qui recommande «l’abandon devant le sort et la mort» - et dont la balade Miorita, «une malédiction poétique nationale» est la synthèse parfaite -, on le verra plus tard accepter l’inacceptable, l’inconcevable: sa roumanité. «Il m’a fallu toute une vie pour m’habituer à l’idée d’être roumain.» notait-il dans ses Cahiers, mais: «Plus j’avance en âge, plus je sens combien sont profonds les liens qui me rattachent à mes origines. Mon pays m’obsède: je ne puis m’en arracher ni l’oublier.» ou «Plus je vieillis, plus je me sens roumain. Les années me ramènent à mes origines et m’y replongent. Et ces ancêtres dont j’ai tant médit, que je les comprends maintenant, que je les ‘excuse’!»

Entre ces deux attitudes à l’égard des traits essentiels de la roumanité - le refus, au début, et l’acceptation, plus tard -, il y a l’oeuvre comme expression artistique de la révolte, du désespoir, de la fatigue devant la vie et de la peur devant la mort. Nous y reviendrons.

 

Si en plan politique, Eminescu a été un «prophète national à rebours», puisqu’«au lieu de s’attacher à l’avenir de la Roumanie, il a projeté la grandeur du peuple dans l’obscurité sinistre de notre passé», l’esprit caustique de Ion Luca Caragiale, un autre «classique» de la littérature roumaine, allait être plus proche de la furie critique de Cioran. Le père du théâtre moderne roumain disait: «Je vois énormément et je sens monstrueusement.» et on peut croire qu’il a transmis cette exacerbation de la sensibilité sensorielle à celui appelé à enregistrer la décomposition du monde, l’agonie de l’homme moderne. Horrifié, mais en même temps séduit par la vulgarité des banlieues, Caragiale y avait trouvé, lui aussi, la beauté du Mal. Au-delà de tout, il savait qu’il fallait tout détruire afin de reconstruire. Sa méthode a été le rire sarcastique. Le monde de ses personnages fourmille de «clochards», de «scribouillards», de «vauriens», de marchands ambitieux quand il s’agit de leur «honneur familier», de «malotrus», de «chiffonniers» qui ne «maltraitent» pas leurs femmes «avec une bonne parole», mais qui, par contre, les «traitent» «avec des insultes et des coups». Ses politiciens sont des imbéciles patriotards dont les discours électoraux  frisent le délire verbal. Des phrases absurdes sont la mesure exacte de l’absurde des situations, de la «qualité» morale des personnages de Cargiale. Ils ont, selon le mot de Ionesco, de grands «principes»: «J’aime la trahison, mais je hais les traîtres»; «un peuple qui ne va pas de l’avant reste sur place»; «après des luttes séculaires qui ont duré presque 30 ans, notre rêve est enfin réalisé!», «Je réclame [...] ce qui m’est dû dans cette ville d’imbéciles où je suis le premier... parmi les chefs politiques.» Quant à la révision de la Constitution, quelqu’un a trouvé la «bonne» solution: «De deux choses l’une, permettez: ou bien on révise, j’accepte, mais on ne change rien; ou bien on ne révise pas, j’accepte! Mais alors on change par-ci, par-là, dans les points essentiels1.» Dans ce monde fou, dans lequel le progrès économique, la révision de la Constitution, la tradition «quaran’huitarde», sont des pures abstractions, le vrai, le seul homme honnête est le simple Citoyen électeur, qui est toujours ivre et qui n’a, parmi des hoquets, qu’une question fondamentale: «moi pour qui est-ce que je vote?». Dans ce monde donc, il faut avoir «un tout petit peu de patience».

 

Tandis que les comédies de Caragiale - «le plus grand des auteurs dramatiques inconnus» selon Ionesco - font rire les siens, les livres de Cioran les laissent perplexes: était-il fou ou génial? La grande différence entre Cioran et Caragiale est le style: en choisissant de présenter la tragédie nationale sous une forme comique, Caragiale peut bénéficier d’une critique clémente: sa principale originalité, affirme Ionesco, «c’est que tous ses personnages sont des imbéciles.» Même en postulant que les Roumains, tels qu’ils apparaissent dans La Transfiguration de la Roumanie, font figure de ce que la théorie littéraire appelle «le personnage collectif», pourrait-on jamais oser dire, même d’une façon édulcorée, que la principale originalité de Cioran, dans La Transfiguration de la Roumanie, est d’avoir montré aux siens qu’ils n’étaient pas les gens extraordinaires qu’ils croyaient l’être?

 

On l’a déjà dit: l’oeuvre française de Cioran est une réécriture de l’oeuvre roumaine: elles communiquent et se répondent réciproquement. Mais ce n’est pas seulement ou principalement l’aspect «politique» de l’écriture cioranienne qui se cache, dans l’oeuvre française, derrière le texte roumain. La continuité n’est pas une manoeuvre de l’auteur  profitant de l’innocence de son lecteur, mais un retour incessant, infatigable, aux origines, la recherche d’autres sources d’inspiration. Les grands thèmes «roumains» de Cioran sont la souffrance (avec ses variables: la conscience de la souffrance et / ou la conscience comme souffrance), la lucidité, le doute, la négation, la mort. Sans en faire des éléments éminément roumains, et sans y pouvoir les traiter de façon exhaustive, nous suivrons le dialogue de Cioran avec ses modèles, et sa façon de s’identifier au fond culturel roumain ou de s’en dissocier. L’intérêt majeur n’est pas de montrer que certains thèmes cioraniens sont roumains, mais de voir à quel point leurs traces sont, dans le cadre de la pensée de l’écrivain, d’essence roumaine.

 

À l’encontre de Eminescu et de Caragiale, Cioran ne s’intéresse pas à la souffrance causée par la déception sentimentale. Pour Eminescu il s’agit d’une expérience directe, personnelle; Caragiale s’en sert pour ridiculiser le «bovarisme» de certains de ses personnages. Si le premier est le poète de l’amour pur, platonique, le deuxième est le critique des moeurs et du vocabulaire des banlieues. Si Eminescu exploite les profondeurs de la pensée et de l’être humain, le génie de Caragiale se concentre sur tout ce qui est hideux, artificiel, vulgaire dans l’homme.

«Te demander un gage qui te rappelle à moi? / C’est toi que je désire, mais tu n’est plus à toi; / Non, ni la fleur mourante ornant tes cheveux blonds, / De toi je ne quémande qu’oubli et abandon. / Cette douleur cruelle, de mon bonheur éteint / Pourquoi ne pas l’éteindre et la garder sans fin?» lit-on dans le poème Séparation2. La présence constante de la voix lyrique dans le texte exprime l’attitude du moi poétique à l’égard du monde: «Lorsque l’énigme même de mon destin c’est toi... / Je vois à tes paroles: tu ne me comprends pas!» (Tu ne me comprends pas3). Déçu, le poète se retire «immortel et froid» dans son monde, dans sa tour d’ivoire.

Dans La nuit orageuse de Caragiale, un jeune étudiant et publiciste envoie une lettre d’amour à sa (supposée) Dulcinée; la missive exprime les affres d’une âme passionnément éprise: «Dès que je vous ai vue au début et pour la première fois, j’ai perdu mes fonctions raisonnantes.» et finit avec un petit poème d’amour: «Un poète fou et tendre vous adore, ô, ma Belle, / Apitoie-toi, enfant, sur sa position tourmentée, / Je te dédie ma lyre et t’aime à l’immortalité...». Quant à elle, la Belle s’embête «terriblement», car «Les Dames de Paris, ce qu’est sorti jusqu’à présent, je les ai lus trois fois.» Dans Une lettre perdue, le «vénérable» Trahanaké, retenu tantôt par des réunions politiques, tantôt par des jeux de cartes, demande souvent à son jeune et charmant ami, le préfet Tipatescu, de rester «auprès de ma petite Zoé, elle s’ennuie toute seule.»

 

La sensibilité de Cioran, qui à 22 ans était déjà «sur les cimes du désespoir» a retenu, sans doute, l’essence de la pensée de ses prédécesseurs: la société de ceux qui ont tout perverti - du discours amoureux à celui politique - étouffe celui qui est différent et détruit les valeurs de celui-ci. Il n’arrive pas à trouver sa place dans une culture mineure. Son orgueil est à jamais blessé: «Il n’est pas commode - constate Cioran - de naître dans un pays de second ordre. La lucidité devient tragédie.»

Dans un premier temps, Cioran semble accepter la souffrance, l’amertume, comme des traits définitoires de l’être humain, auxquels il ne saurait pas se dérober. «Trop de sagesse accroît notre amertume et trop de savoir augmente notre souffrance» dit l’Ecclésiaste. «La souffrance est l’unique cause de la conscience» ajoute Dostoïevski. «Les hommes, nuance Cioran, se partagent en deux catégories: ceux qui ont compris cela, et les autres.» Il se déclare même prêt à «souffrir pour tous ceux qui souffrent sans le savoir. Je dois payer pour eux, expier leur inconscience, la chance qu’ils ont d’ignorer à quel point ils sont malheureux.» Cette «mission» rappele, évidemment, le sacrifice de soi de Jésus-Christ. Dans un deuxième temps, et d’autant plus que la souffrance d’autrui passe par ou minimise sa propre souffrance, Cioran découvre la haine de ce qui est à l’origine de sa représentation du monde: la conscience. Même la solidarité en souffrance - «S’efforcer de comprendre la souffrance d’autrui ne diminue pas pour autant la sienne propre.» - ne saurait pas guérir la haine de soi / de sa conscience. Dire «je hais ma conscience / je me hais parce que je suis conscient», c’est réinterpréter l’adage cartésien, remplacer la pensée par la haine: «Je me hais: je suis homme; je me hais absolument: je suis absolument homme. être conscient, c’est être divisé d’avec soi, c’est se haïr.» Se haïr également d’avoir perdu le paradis, d’avoir la conscience d’être un damné, un déchu? Se trouver «hors du Paradis» et le savoir à chaque instant, conduit Cioran à la nostalgie ou à l’«aspiration nostalgique» du «non-né». «Comment oublier, se demande-t-il, qu’il fut un temps où le temps n’était pas encore?»: le temps d’avant notre naissance, pur comme celui qui est sans péché, rappelle «le refus de naissance», qui n’est «rien d’autre que la nostalgie de ce temps d’avant le temps.»

La lucidité est «un martyre permanent, un inimaginable tour de force.», et la conscience est une «fatalité». À ce point, l’héritage roumain est assez visible: «Autant de conscience, autant de drame.» disait Camil Petrescu, ami de jeunesse de Cioran.

Passé par le filtre de la pensée de Schopenhauer, le pessimisme eminescien -

«N’espère pas et n’aie pas peur, / Ce qui est flot en flot s’en va, / Si on te mande ou on te leurre. / A toute chose reste froid.» ou «Même trompé, dans ta détresse / N’espere pas et n’aie pas peur.»  se retrouve dans une affirmation que Cioran fera dans De l’inconvénient d’être né: «Le moyen le plus sûr de ne pas se tromper est de miner certitude après certitude.» Il ne lui reste qu’à dépasser son maître, qu’à trouver sa propre identité: «je ne suis pas un douteur, avoue-t-il dans Ecartèlement, je suis un idolâtre du doute, un douteur en ébullition, un douteur en transe, un fanatique sans credo...»

 

À force de pratiquer longuement le doute, le philosophe est tenté par la négation. Tout comme les manichéens, Cioran se reconnaît séduit par «le pouvoir [de la négation] de se substituer à tout et à tous», de «disposer du monde comme si on avait collaboré à son avènement et qu’on eut ensuite le droit, voire le devoir, d’en précipiter la ruine.» Cioran venait d’un monde qui n’était pas du tout étranger au manichéisme, et quand en 1970 François Bondy lui demande si la source de son mysticisme, de sa «haine du monde» ne serait pas dans la tradition orthodoxe, Cioran répond: «Cela s’apparen-terait plutôt à la secte gnostique des bogomiles, les ancêtres des cathares, dont l’influence était surtout grande en Bulgarie.» Il n’est pas dépourvu d’intérêt de préciser que les influences du mouvement protestataire du prêtre Bogomile se font ressentir en Roumanie au niveau des croyances populaires et des textes apocryphes. En 1936, Lucian Blaga allait reprendre l’essence de la pensée des bogomiles et l’inclure dans une pièce de théâtre - réécriture en effet de la balade Le Maître Manole. Au moment où l’on parle du sacrifice de Mira, la femme de Manole, afin de pouvoir bâtir le monastère, le personnage Bogomile pose une question fondamentale: «mais qui demande ce sacrifice?» Ce ne peut pas être Dieu, parce que c’est un crime et qu’il contrevient aux normes chrétiennes; ce ne peut être ni Satan, puisqu’il s’agit d’une église vouée justement à contrecarrer son pouvoir. D’où la question de Bogomile: «le bon Dieu et le cruel Satan ne seraient-ils pas des frères?»

«J’ai nié, j’ai nié toute ma vie» avouait Cioran à Gabriel Liiceanu. La tentation de la foi a été chez lui sapée par le doute, par la tentation de nier. Le «côté démoniaque» de Cioran est l’ascendant de la négation sur l’affirmation. «J’ai eu beau fréquenter les mystiques, dans mon for intérieur j’ai toujours été du côté du Démon.»

À quoi bon espérer donc quand on sait que la mort est la seule certitude? Penser la mort et sa mort «à chaque instant de [sa] vie», savoir que le mal est toujours là, blesse irrémédiablement la conscience de Cioran. Son attitude devant la mort est ambivalente: tout en sachant que la vie n’est qu’une longue attente qui nous a été prédestinée, il ne peut pas s’empêcher de la contester, de la blamer, de la rejeter. Eminescu est, par contre, plus proche de l’attitude «mioritique» devant la mort: «Je ne croyais jamais apprendre à mourir / Jeune encore, drapé dans ma mante, / Je levais mes yeux rêveurs vers l’étoile / De la solitude. / Et soudain, tu m’apparus, / Toi, souffrance, douloureusement douce... / J’ai bu jusqu’au fond la volupté de la mort/ Impitoyable./ (...) Pour que je meure consolé, redonne-moi / à moi-même.» (Ode en mètre antique)

Quant à lui, Cioran n’est qu’un des membres du choeur grec se lamentant devant l’inévitable: «Pourquoi a-t-on fait don de la vie à l’homme si c’est pour qu’il redoute la mort? Pourquoi faut-il que la vie de l’homme soit entachée de la sorte? Pourquoi vivons-nous en sachant que nous allons mourir?» Ce désespoir fait penser au roi de Ionesco. Tout comme Eminescu, le vieux doit «apprendre à mourir». Quand il n’a plus la parole, quand son coeur «n’a plus besoin de battre», il n’y a «plus la peine de respirer.» «C’était une agitation bien inutile.»

 

Figure complexe, protéiforme, Cioran peut être compris et analysé selon les goûts, selon les intérêts de quiconque s’attache à l’étude de son oeuvre ou de sa personnalité. Mais une chose est certaine: sa passion cachée a été la Roumanie. Pour Cioran, la vraie expulsion du paradis, ce n’est ni la perte du village natal, ni l’obligation de quitter la Sorbonne, mais la rupture de tout ce que représentait son pays natal. Entre La Transfiguration de la Roumanie et les Cahiers il y a toute une vie d’homme: 60 ans, au bout desquels Cioran allait dire: «Bien que j’aie voulu me délivrer de mes origines, mes efforts n’ont donc pas réellement abouti. [...] On ne se délivre pas de son origine, de son commencement.» Cioran a quitté son pays en portant avec lui, jusqu’à sa mort, un secret que seule révèle une longue pratique de ses textes: en aimant désespérement la Roumanie, il l’a voulue «transfigurée», ce qui a entraîné sa chute, son long et douloureux exil, et, évidemment, la haine de ce qu’il avait tant aimé, justement pour avoir si follement aimé...

Après tout, il ne lui restait qu’à devenir «le sceptique de service» d’un monde agonisant, le secrétaire de ses sensations, puisqu’«être le secrétaire d’une sainte» n’a pas été la chance de sa vie.

 

1 tous les passages de I.L. Caragiale ont été tirés du volume Ion Luca Caragiale. Théâtre. Paris: L’Arche, 1994 (adaptation d’Eugène Ionesco et Monica Lovinescu)

2 traduit du roumain par Veturia Draganescu-Verniceanu

3 traduit du roumain par Emanoil Marcu.

Le reste des traductions nous appartient.

 

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